ARTICLE ECRIT EN SEPTEMBRE 2014 : MEMOIRE DE NOS ANCIENS : UN PORTRAIT, MARIUS GIRARD
Marius nous a quitté le 4/11/2014
Une silhouette familière traverse tranquillement le passage piéton du centre du village, un peu voutée, sa démarche reconnaissable entre mille. Elle tourne en direction de la Mairie pour continuer sa ballade matinale. Arrivée à proximité du portail de l’école c’est aussitôt une rumeur grandissante qui envahie la cour. « Marius, c’est Marius ! » aussitôt, les enfants accourent pour venir saluer celui qui est sans conteste pour eux une « star » de la commune, aussi emblématique à leurs yeux qu’Agecanonix pour un autre petit village Gaulois.
Pour tous, Marius est sans conteste une des figures de Baneins. De toutes les manifestations et s’enquérant des nouveaux habitants avec son sourire et sa bonne humeur habituelle, il nous semblait indispensable de le connaître davantage et d’avoir son regard sur les 85 dernières années qu’il a vécu à Baneins.
En effet, Marius est né le 10 avril 1924 dans la commune voisine, Saint Trivier, de ce fait c’est un « Niac » d’adoption. Propos qu’il faut nuancer immédiatement, car, certes il est né et a vécu toute son enfance dans le village voisin, mais ses activités l’entrainaient déjà à Baneins et ses grands parents étaient des Attaneins. La ferme de ses parents était toute proche, puisque située dans le hameau de Béreins, l’amenant ainsi à fréquenter l’école de Baneins et à parcourir chaque jour les quatre kilomètres qui la sépare de la ferme louée par ses parents. Il use ses fonds de culotte sur les bancs de l’école encore située dans deux lieux différents, la classe de Mme Chanal (comportant à l’époque 40 élèves) dans le grand bâtiment accolé à l’église, le long de la route, et celle de son mari à l’emplacement actuel mais dans un bâtiment bien plus petit. Il y obtiendra son certificat d’études.
Le village n’a pas le même visage qu’aujourd’hui. Les constructions sont moins nombreuses et la rue principale est encore encadrée par des tilleuls. C’est un lieu de passage mais beaucoup moins fréquenté qu’actuellement. Pourtant les activités commerciales sont nombreuses. On compte deux cafés, dont un bar restaurant, une épicerie tenue par le grand père de Marius, un boulanger qui livre le pain en calèche dans les hameaux, un entrepreneur de machines à battre situé en face de la mairie actuelle et un charron à la sortie du village. C’est avec nostalgie et regrets que Marius évoque ce temps où le village se suffisait en grande partie à lui-même.
Dans les années 30, Baneins connait un aménagement innovant et moderne pour l’époque : la construction de la salle des fêtes et de la nouvelle école, voulues par le sénateur et maire d’alors M. Donin Bollet. Ce chantier occupera une bonne partie des années 30 et connu les luttes des grèves de 1936. Marius se souvient ainsi qu’un beau matin un groupe vint de Lyon à vélo pour bloquer le chantier, ce qu’ils firent pendant quinze jours. La grue qui dominait les bâtiments en construction devint le symbole local de la lutte, puisque les grévistes avaient hissé le drapeau rouge au sommet. Les travaux reprendront quelques semaines plus tard et se termineront en 1938 avec une grande fête pour l’inauguration.
Pour Marius, la vie est alors rythmée par le travail à la ferme qui compte 40 ha, on cultive en utilisant les chevaux et les bœufs en plus d’un tracteur. La famille compte 4 enfants, deux garçons et deux filles. Marius est le deuxième avec sa sœur jumelle.
Il vivra dans la ferme familiale à Béreins jusqu’à son mariage en 1950. Entre deux, la guerre est passée par là. Marius évite de justesse le STO grâce à un ami de ses parents qui a une usine sur Lyon et un besoin urgent de main d’œuvre. Ses souvenirs de cette période ne sont pas trop douloureux, les villages de campagne étant préservés en grande partie de l’occupant et des privations que connaissent les villes.
Après la guerre il s’engage dans la vie du village en devenant pompier, poste qu’il occupera de l’âge de 18 ans jusqu’à sa retraite. Il vient s’installer à Baneins dans la ferme qui appartient aujourd’hui à M. Cornevin, sa sœur ayant repris l’exploitation de ses parents. Il va alors entrer dans l’entreprise de maçonnerie de M. Thomasson où il travaillera durant toute sa vie professionnelle, « il fallait faire quelque chose » ce qu’il fera « du lundi au samedi, du lever au coucher du soleil » occupé en particulier à refaire les toitures dont celle de l’église. Le dimanche n’est pas pour autant un jour de repos, puisque Marius cultive un lopin de 5 ha et élève quelques cochons et quelques vaches afin de faire vivre la famille qui s’agrandit. Le premier enfant arrivant en 1950, suivit de 9 autres.
Claudia, sa femme, travaille elle aussi en plus de sa charge de mère de famille nombreuse. Elle fait des ménages à Châtillon où elle se rend en Mobylette, le couple n’ayant jamais eu de voiture.
Marius se souvient de son métier et mesure le chemin parcouru entre la manière de travailler à l’époque où il gâchait le ciment à la main et montait tous les matériaux à dos d’homme, et aujourd’hui. Son patron donnait l’exemple et travaillait aussi dur que ses quatre employés. L’entreprise fonctionnait mais gardera des moyens limités qui se cantonneront à un petit camion benne et une bétonnière.
En plus de ce travail, Marius s’implique aussi pour sa commune, il complète son activité par le travail difficile de fossoyeur et surtout, il prendra part au conseil municipal pendant 30 ans, des années 60 aux années 90.
En 1976 la commune connait une nouvelle étape avec la construction du premier lotissement de 7 maisons bâties sur des terrains agricoles dans le centre du village. La population est alors moitié moins importante qu’aujourd’hui.
Pour la famille Girard c’est l’occasion de concrétiser le rêve et le travail d’une vie en accédant à la propriété. Maintenant que les ainés ne sont plus à la maison, l’achat d’une habitation moins grande est possible.
La vie s’écoule tranquillement au rythme des saisons et des divers travaux de la campagne comme le jardinage et la coupe du bois en hiver.
Marius prendra sa retraite en 1989. Après une vie professionnelle bien remplie, il continue quelques activités physiques comme le jardin et la marche à pieds qu’il pratique assidument. Il peut aussi se consacrer à sa désormais longue descendance, puisque le couple à vingt et un petits enfants et quatorze arrières petits enfants, autant dire que les réunions de famille sont animées et nécessitent de la place…
Pour terminer, Marius présente un constat sur l’époque qu’il a connu : « la vie était dure et le travail manuel, on n’avait pas le temps de s’ennuyer », il voit aussi l’esprit du village changer, la vitesse et une part croissante d’individualisme ayant pris le pas sur la convivialité. Aussi pourquoi ne pas nous mettre de temps en temps au pas plus lent de nos anciens et partager avec eux un moment d’échange dans les manifestations qui ponctuent la vie de notre charmant petit village.